LA CRÉATRICE

 

 

"À 7 ans je commence à dessiner mes premiers vêtements en m'inspirant des pages de "la Redoute" : je veux être styliste. À 9 ans je trouve mon nom de créatrice et commence ma carrière dans la cour de récré en imaginant des robes haute couture à mes copines selon leurs envies. Je n'arrête plus de dessiner jusqu'à entrer en section Arts Appliqués au Lycée de Sèvres (92). À 17 ans, j'obtiens mon baccalauréat et entame un BTS Art et Impression Textile à l'ENSAAMA Olivier de Serres (Paris). Ce premier contact avec le tissu me permet d'aborder le vêtement sous une forme plastique .Trois ans plus tard, en 2000, c'est l'Atelier Chardon-Savard qui me remet mon diplôme de styliste-modéliste, après une première collection femme. C'est ensuite dans le costume de scène que vont naître mes premières expériences. Dès 2001, tout en suivant les cours de réalisation de costumes à l'ADAC (Paris), je vais travailler comme costumière pour différentes compagnies de théâtre et de danse, faire mes premiers pas sur des tournages de cinéma, animer des ateliers costumes pour les enfants, tout en continuant à développer mes propres créations. Pour compléter mon savoir-faire, je suis la formation "costumes historiques" du GRETA en février 2006. C'est en octobre de la même année que je créé ma marque de prêt à porter Ékicé.

 INTERVIEW DE FLORENT CALANDE POUR SON TRAVAIL DE FIN D'ÉTUDES SUR LE THÈME DE L'ÉCORESPONSABILITÉ DANS L'INDUSTRIE DE LA MODE (Mars 2024)

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1 • Comment décririez-vous votre processus de création artisanale et comment incorporez-vous des pratiques durables dans la confection de vos vêtements ?

C’est souvent le tissu qui me dicte le type de vêtement selon sa couleur, son tombé et sa quantité. Ma création prend vraiment forme depuis la matière et pas l’inverse. Je travaille avec des tissus de fins de séries de grandes marques, des "stocks dormants », de belle qualité. J'ai fait le choix de travailler en petites quantités et au fur et à mesure des demandes pour ne pas créer un trop gros stock. Je réfléchis mes coupes pour avoir le moins de pertes possible, et aussi pour qu'elles soient "réglables" et qu'elles puissent évoluer avec le corps dans le temps. Je travaille à un rythme humain dans une production locale. Du côté de mes clientes, mes vêtements sont souvent un achat coup de coeur : elles gardent leurs pièces longtemps dans leur garde robe et n'hésitent pas à me les rapporter parfois des années après pour une réparation ou une modification. J'aime cette idée d'un vêtement fétiche qui évolue avec le temps et a été porté de nombreuses fois.

2 • Vous mentionnez que vous utilisez des tissus de fins de séries de grandes marques. Comment choisissez-vous ces matériaux et comment parvenez-vous à minimiser les pertes dans votre processus de production ? 

J'ai une formation textile solide et je sais reconnaitre une belle laine ou un tissage de qualité, cela m'aide beaucoup dans mes choix. La couleur aussi bien sûr est déterminante. Je me suis spécialisée dans des coupes épurées qui minimisent les pertes et je recycle les dernières chutes grâce à une gamme d’accessoires qui les valorise : petits coussins, masques de nuit et ceintures. Chaque petit morceau trouve sa place et depuis quelques années les poubelles de l’atelier sont presque vides ! Il y a aussi toujours cette petite pièce qui trouve sa place de justesse dans le tissu en fin de coupon. Avec le temps j’ai développé plusieurs patrons de kimonos, pulls courts et boléros et je suis devenue experte dans l’art de caser ces éléments dans peu de matière. Ce sont mes fameuses petites pièces uniques !

3 • Qu'est-ce que le "slow-made" représente pour vous, et pourquoi avez-vous choisi cette approche pour votre marque Ékicé ?  

Le slow made représente pour moi tout simplement l'artisanat : un savoir faire manuel (de fait lent) et un amour pour mon travail. C'est avant tout un choix logique de simplicité, économique, et à taille humaine.


4 • Vous faites souvent référence à des inspirations japonisantes dans vos créations. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette influence dans votre travail ? 

J'ai grandi dans les années 80 et 90 baignée de dessins animés et de mangas japonais. Sans compter les créateurs de mode iconiques débarqués à Paris dans ces années là : Kenzo, Issey Miyake et Yoshi Yamamoto m’ont fortement marquée à une époque où j'ai décidé de faire ce métier.

De plus, le rapport à la tradition dans les vêtements japonais - notamment le kimono - est la parfaite illustration d'une coupe basique et géométrique au service de l'économie de tissu. Les variations se font ensuite dans le choix des textiles et des couleurs mais la base reste unique à quelques variations près. On retrouve d'ailleurs cette logique économe dans beaucoup de cultures rurales partout dans le monde, y compris en France. Mais il est vrai que la version japonaise est particulièrement esthétique et que leur savoir faire textile (tissages et impressions de motifs) est très poussée et raffinée.

5 • Comment gérez-vous la demande de vos clients avec votre approche de petites séries et de renouvellement fréquent des créations, tout en maintenant un équilibre entre production et durabilité ?  Mes modèles sont en général réalisés dans une taille de chaque, du 36 au 44, selon les métrages de tissu que je déniche. Je ne trouve parfois qu'un mètre et dans ce cas ce sera une pièce unique ou deux exemplaires.
Dans un souci économique et écologique, j’achète de petites quantités de matières à la fois, ce qui renouvelle assez vite mes créations et me sort de fait du rythme des collections saisonnières. 
Chez Ékicé il y a de nouvelles pièces sur le portant presque chaque semaine, qui remplacent les pièces vendues.
Je travaille beaucoup à l’intuition et au coup de coeur et je suis souvent bien incapable de dire en avance ce que vais réaliser : c’est aussi ce qui donne vie à mon travail, et j’aime l’idée de l’énergie et de l'envie qui circule en continu dans mes vêtements.
Je peux parfois refaire certaines pièces sur demande si il me reste du tissu, et parfois non c'est le jeu.

 

6 • Comment imaginez-vous l'avenir d'Ékicé, et quelle place pensez-vous que des marques comme la vôtre occupent dans le paysage de la mode contemporaine ? 

Honnêtement pour le futur de ma marque je n'en ai aucune idée. Tout comme mes créations je me suis toujours adaptée à l'évolution des demandes et j'ai l'habitude de ne pas avoir de certitudes pour l'avenir. L'époque est difficile pour la confection en général et les petites marques ne sont pas épargnées. Pour les nouvelles créatrices qui se lancent, je pense que le modèle de l'entrepereneuse fait rêver mais pas forcément celui de l'artisane qui, à mon sens, implique un mode de vie assez modeste car l'évolution d'une petite marque est limitée par la capacité de production d'une personne, qui doit composer avec sa force physique et mentale. Les marques comme la mienne occupent un réseau local à leur échelle assez solide. C'est un bouche à oreille qui se transmet humainement par des personnes en général assez passionnées et curieuses ... Ce qui forme un beau réseau !


 

Pour en savoir plus sur mon travail 

 

MON PROCESSUS de CRÉATION

Je compose mon portant à la boutique comme un tout : un ouvrage.

Chaque vêtement existe en tant que tel, mais fait aussi partie d’un ensemble qui évolue sans cesse au rythme de ma production.

Je réalise à quel point je travaille sur cet ensemble en réalité, en équilibrant les couleurs et les matières entre elles, en changeant l’ordre des pièces pour dire autre chose, en imaginant ce qui manque pour mettre en valeur tout le reste. C’est un moment très heureux pour moi quand je pose les nouvelles pièces sur le portant parmi les autres créations: elles prennent tout leur sens et toute leur énergie quand elles sont côte à côte ! Ce portant c’est mon ouvrage, toujours en mutation, et je créé à son rythme.

C’est souvent le tissu qui me dicte le vêtement selon sa couleur, son tombé et sa quantité. Ma création prend vraiment forme depuis la matière et pas l’inverse. Peut être cela vient il de ma formation en textile qui est venue avant la couture ? Ou par une habitude de me laisser d’abord séduire par les couleurs et les matières et d’ensuite imaginer en quoi elles pourraient se transformer.

Je suis en perpétuelle discussion avec le tissu : je propose et il me dit oui ou non et j’avance par étapes en observant le plus possible ses réactions et son essence. C’est lui qui m’indique aussi les finitions et le volume. Finalement cela m’évite ses doute de prendre trop de décisions !

Je me suis spécialisée dans des coupes épurées qui minimisent les pertes et je recycle les dernières chutes grâce à une gamme d’accessoires qui les valorise : petits coussins, masques de nuit et ceintures. Chaque petit morceau trouve sa place et depuis quelques années les poubelles de l’atelier sont presque vides !