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INTERVIEW de  Florent Calande pour son travail de fin d'études sur le thème de l'éco-responsabilité dans l'industrie de la mode.

 

Comment décririez-vous votre processus de création artisanale et comment incorporez-vous des pratiques durables dans la confection de vos vêtements? 

C’est souvent le tissu qui me dicte le type de vêtement selon sa couleur, son tombé et sa quantité. Ma création prend vraiment forme depuis la matière et pas l’inverse. Je travaille avec des tissus de fins de séries de grandes marques, des "stocks dormants », de belle qualité. J'ai fait le choix de travailler en petites quantités et au fur et à mesure des demandes pour ne pas créer un trop gros stock. Je réfléchis mes coupes pour avoir le moins de pertes possible, et aussi pour qu'elles soient "réglables" et qu'elles puissent évoluer avec le corps dans le temps. Je travaille à un rythme humain dans une production locale. Du côté de mes clientes, mes vêtements sont souvent un achat coup de coeur : elles gardent leurs pièces longtemps dans leur garde robe et n'hésitent pas à me les rapporter parfois des années après pour une réparation ou une modification. J'aime cette idée d'un vêtement fétiche qui évolue avec le temps et qui a été porté de nombreuses fois.



Vous mentionnez que vous utilisez des tissus de fins de séries de grandes marques. Comment choisissez-vous ces matériaux et comment parvenez-vous à minimiser les pertes dans votre processus de production ? 

J'ai une formation textile solide et je sais reconnaitre une belle laine ou un tissage de qualité, cela m'aide beaucoup dans mes choix. La couleur aussi bien sûr est déterminante. Je me suis spécialisée dans des coupes épurées qui minimisent les pertes et je recycle les dernières chutes grâce à une gamme d’accessoires qui les valorise : petits coussins, masques de nuit et ceintures. Chaque petit morceau trouve sa place et depuis quelques années les poubelles de l’atelier sont presque vides ! Il y a aussi toujours cette petite pièce qui trouve sa place de justesse dans le tissu en fin de coupon. Avec le temps j’ai développé plusieurs patrons de kimonos, pulls courts et boléros et je suis devenue experte dans l’art de caser ces éléments dans peu de matière. Ce sont mes fameuses petites pièces uniques !


Qu'est-ce que le "slow-made" représente pour vous, et pourquoi avez-vous choisi cette approche pour votre marque Ékicé ?  

Le slow made représente pour moi tout simplement l'artisanat : un savoir faire manuel (de fait lent) et un amour pour mon travail. C'est avant tout un choix logique de simplicité, économique, et à taille humaine.



Vous faites souvent référence à des inspirations japonisantes dans vos créations. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette influence dans votre travail ? 

J'ai grandi dans les années 80 et 90 baignée de dessins animés et de mangas japonais. Sans compter les créateurs de mode iconiques débarqués à Paris dans ces années là : Kenzo, Issey Miyake et Yoshi Yamamoto m’ont fortement marquée à une époque où j'ai décidé de faire ce métier. De plus, le rapport à la tradition dans les vêtements japonais - notamment le kimono - est la parfaite illustration d'une coupe basique et géométrique au service de l'économie de tissu. Les variations se font ensuite dans le choix des textiles et des couleurs mais la base reste unique à quelques variations près. On retrouve d'ailleurs cette logique économe dans beaucoup de cultures rurales partout dans le monde, y compris en France. Mais il est vrai que la version japonaise est particulièrement esthétique et que leur savoir faire textile (tissages et impressions de motifs) est très poussée et raffinée.


Comment gérez-vous la demande de vos clients avec votre approche de petites séries et de renouvellement fréquent des créations, tout en maintenant un équilibre entre production et durabilité ?  Mes modèles sont en général réalisés dans une taille de chaque, du 36 au 44, selon les métrages de tissu que je déniche. Je ne trouve parfois qu'un mètre et dans ce cas ce sera une pièce unique ou deux exemplaires.
Dans un souci économique et écologique, j’achète de petites quantités de matières à la fois, ce qui renouvelle assez vite mes créations et me sort de fait du rythme des collections saisonnières. 
Chez Ékicé il y a de nouvelles pièces sur le portant presque chaque semaine, qui remplacent les pièces vendues.
Je travaille beaucoup à l’intuition et au coup de coeur et je suis souvent bien incapable de dire en avance ce que vais réaliser : c’est aussi ce qui donne vie à mon travail, et j’aime l’idée de l’énergie et de l'envie qui circule en continu dans mes vêtements.
Je peux parfois refaire certaines pièces sur demande si il me reste du tissu, et parfois non c'est le jeu.


En quoi votre présence physique à la boutique influence-t-elle votre relation avec vos clients, par rapport à une présence plus virtuelle sur les réseaux sociaux ? 

On entend souvent que les petits commerces vont se mourir et que tout se fera sur internet mais ces rencontres sont tellement nourrissantes et essentielles que je ne sais pas comment je pourrais m'en passer ... Mon inspiration c'est aussi mes clientes. Ma motivation ce sont leurs remarques sur mon travail, leurs essayages, et par leurs retours je sais que mes vêtements peuvent apporter du réconfort, de la joie ou de la confiance et cela me nourrit beaucoup. C’est aussi très inspirant et gratifiant pour moi de voir comment les femmes portent mes vêtements à leur façon, et créent sur ma création. À chacune sa façon de s’approprier une pièce et de l’intégrer à sa garde robe. Un vêtement ne tombe pas pareil sur tous les corps c’est évident, mais son esprit change aussi selon la personne qui l’adopte. C’est passionnant pour moi à observer et cela me surprend toujours. Du côté des clientes, elles apprécient de rencontrer la créatrice de leurs vêtements et de porter des pièces uniques et très petites séries ! Savoir qui a cousu son pull et où le tissu a été acheté est un vrai plus à l’ère de la fast fashion. De plus je n'hésite pas à ajuster une pince ou régler un ourlet ce qui offre un service supplémentaire et met en confiance.


Comment imaginez-vous l'avenir d'Ékicé, et quelle place pensez-vous que des marques comme la vôtre occupent dans le paysage de la mode contemporaine ? 

Honnêtement pour le futur de ma marque je n'en ai aucune idée. Tout comme mes créations je me suis toujours adaptée à l'évolution des demandes et j'ai l'habitude de ne pas avoir de certitudes pour l'avenir. L'époque est difficile pour la confection en général et les petites marques ne sont pas épargnées. Pour les nouvelles créatrices qui se lancent, je pense que le modèle de l'entrepereneuse fait rêver mais pas forcément celui de l'artisane qui, à mon sens, implique un mode de vie assez modeste car l'évolution d'une petite marque est limitée par la capacité de production d'une personne, qui doit composer avec sa force physique et mentale. Les marques comme la mienne occupent un réseau local à leur échelle assez solide. C'est un bouche à oreille qui se transmet humainement par des personnes en général assez passionnées et curieuses ... Ce qui forme un beau réseau !